La poésie contre la politique, ou la beauté contre la bêtise ?
Adolescent, je détestais autant le matin que la poésie.
Je voulais trouver un sens à chaque phrase. Il n’y avait aucun temps mort. Je ne savais pas qu’un poème pouvait rassasier autant qu’une cathédrale de prose.
Il y avait pourtant des signes lorsque parfois, la beauté d’un paysage ou d’un livre emportait mon cœur. Mais je masquais cette sensiblerie que l’on attribue, à tort, aux femmes ou à une faiblesse.
Je vouais cependant un culte au journalisme, au direct, à l’investigation. C’était pour moi le Graal, la vérité à l’état pur. Tout allait vite. L’action devait écraser la contemplation.
À l’université, avec l’option journalisme, toutes mes journées étaient millimétrées. Heureusement, il me restait quelques secondes de pause par jour : tous les matins, je buvais mon café en contemplant le cerisier dans le jardin de mes parents. C’était mon seul temps mort, ou plutôt le seul temps où je me sentais vivant.
Ça a commencé comme ça.
Jour après jour, je gaspillais davantage de minutes à observer cet arbre. Ma vision s’élargissait à mesure que les bourgeons fleurissaient. Des oiseaux venaient chaque matin s’agripper sur la même branche. Je parvenais à les reconnaître; il y en avait un minuscule avec le bec orange et la patte blessée…
Au départ, je regardais l’arbre, poussais un soupir avant de retourner à la chasse aux infos. J’écartais d’une main la tasse vide encore fumante pour éparpiller tous les journaux. Le Monde, Libération, le Parisien, tout y passait. Ce rituel était une obligation, un devoir vital pour tenter d’approcher la moyenne au diabolique QCM de journalisme du vendredi matin. Aujourd’hui encore, y penser me donne des sueurs froides. Vingt questions prises au hasard parmi les milliards d’actualités de la semaine.
Le cerisier, donc.
Les oiseaux ensuite.
J’ai tenté de balayer ces enfantillages en prétextant le ridicule. Alors j’ai pensé au Petit Prince, relique de mon enfance qui nous exhorte de garder notre âme intacte. Un soir, pris d’un doute, j’ai relu l’histoire. D’une traite comme une bouffée d’air, une illumination, une évidence. Au matin, la sentence était claire :
Je jouais à l’adulte.
Et pire, je n’aimais pas ça. J’ai tout lâché. Le journalisme, le direct, les QCM… pour ne garder que la licence de Lettres Modernes et les angoisses existentielles de Rousseau et de ses Confessions.
Libéré de mes contraintes, je me levais encore plus tôt pour profiter du temps suspendu, de ce moment précieux entre le jour et la nuit. Je partais en vélo pour emplir mes poumons d’embruns et admirer le bruit de salière que font les vagues lorsqu’elles se retirent à marée basse.
J’y voyais enfin clair.
Et puis en mars 2020, j’ai compris que la poésie était la seule à pouvoir sauver le monde. Elle donne du souffle, emporte le cœur et recentre l’esprit.
Pourtant, aux premiers jours de la pandémie, j’ai rechuté. J’épluchais à nouveau les journaux, les émissions, les directs. Chaque graphique, courbe et expert étaient analysés.
Et puis saturation.
Je devais retrouver la poésie.
Un matin paisible, j’ai contemplé ma bibliothèque pour y voir la beauté des titres. J’ai balayé chaque rangée - « tendre et la nuit, « pour qui sonne le glas » ou « chute de pluie fine ». Je retrouvai peu à peu mon souffle, mon calme et le bonheur des plaisirs simples.
Pour survivre à la pandémie, il fallait débrancher, lire des vers ou contempler le ciel et la pluie. Ne rien faire aussi. Mon remède était devenu simple: apprendre des vers par cœur, construire des cabanes à oiseaux et, je l’avoue, profiter du crépuscule pour voler quelques instants à l’océan. Enfin, Se baigner dans l’eau fraîche de la côte des Basques.
La poésie est partout, et elle sauve le monde.
Il faut seulement le comprendre.